Dans le milieu humanitaire et, spécifiquement, dans le domaine du soutien à l'autonomie des personnes âgées (SAPA), on parle de fracture numérique chez les personnes aînées. Sur le coup, on pense tout de suite au fait que la clientèle aînée n'utilise que peu ou pas du tout l'informatique dans les tâches quotidiennes comme consulter le solde en banque, payer les factures, commander son épicerie, communiquer avec ses proches ou se désennuyer. Mais c'est plus étendu que cela.
Au premier abord, la solution qui saute aux yeux est de rendre accessibles les cours d'informatique ou d'utilisation du téléphone cellulaire. Mes quatre décennies d'expérience me permettent d'expliquer comment et pourquoi c'est une torture pour la clientèle et un retour sur l'investissement absolument ridicule.
Ce que la clientèle veut, c'est pouvoir rester chez elle et faire elle-même ce qu'il faut pour continuer d'y vivre de façon autonome. Ce dont elle a besoin, c'est l'accompagnement rassurant de personnes patientes, compréhensives et attentionnées pour s'adapter à de nouveaux outils pour accomplir ces tâches de la vie de tous les jours. Et cela, dans un lieu convivial et dans une atmosphère détendue.
L'accompagnement à l'autonomie, ce n'est pas un cours. L'objectif n'est pas ici d'apprendre à utiliser une machine, ni de bousculer les habitudes et les réflexes. Il s'agit d'un atelier qui se veut aussi détendu qu'une session d'échange de recettes pour réussir à faire ses choses, avec le soutien moral de personnes qui réussissent à le faire avec ces nouveaux trucs.
Il n'y a donc pas de programme-pochoir à étamper en série sur un certain nombre de personnes dans un certain laps de temps. Il existe plutôt une bonne compréhension de la réalité des personnes aînées et de leurs besoins.
Des rencontres – qu'on appellera «ateliers» – réunissent des personnes qui désirent connaître les trucs à savoir pour réussir leur autonomie et des personnes qui maîtrisent de façon inspirante ces mêmes trucs. Dans un même lieu et temps, elles partagent ces façons de faire en sirotant un café, tout en manipulant les gugusses en plastique qui répondent à ce qu'elles désirent faire.
Encore une fois, on pense au carnet-papier ou à l'accès à un humain au comptoir d'une institution financière qui semblent disparaître dans l'oubli. On lance aux personnes aînées un commentaire facile : «Tu n'as qu'à le faire avec ton téléphone comme tout le monde maintenant le fait». Et les membres de la famille qui s'impatientent lorsque vient le temps de montrer comment faire. Tout pour diaboliser la chose et traumatiser!
Dans le jargon technique, on appelle ces ateliers d'accompagnement à l'autonomie de l'apprentissage expérientiel. Entre 1983 et 1985, j'en ai fait l'expérience à l'école School of Experiential Education (SEE) à Toronto. Pour simplifier ça, on peut tout simplement appeler ça un stage ou une immersion dans des habitudes. On se joint à un groupe de personnes qui maîtrisent avec aise et assurance les techniques et – surtout! – les aptitudes qu'on veut maîtriser. On veut voir en temps réel quoi faire et comment faire, là, sous ses yeux. Puis, on se laisse emporter par le courant en imitant, avec le soutien rassurant de personnes patientes et inspirantes.
Il m'arrive régulièrement de rencontrer des personnes qui ont participé à mes ateliers à un moment donné sur les quarante années de ma carrière* et qui me témoignent encore de leur bonheur d'avoir acquis la maîtrise de réflexes qui ont façonné leur prospérité. Et elles me rappellent sans faute la chaleur de l'atmosphère du groupe.
Le soutien à l'autonomie des personnes âgées, c'est accompagner très humainement, dans le respect et l'écoute. C'est prendre le temps de rassurer et de bâtir l'espoir du bonheur qui se réalise pour vrai. C'est aussi constituer une famille sur laquelle on peut compter et s'y sentir comme membre à part entière. C'est construire une vraie paix d'esprit pour les personnes aînées et tout leur entourage.
Quelle belle œuvre! On ne s'en lasse pas, une fois c'est dans le sang. 
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* Les organismes Waska, 1982 à 2017 – bon sujet pour un prochain billet.
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